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Essais de Patrick Auge Sensei Shihan - Essais de ceintures noires - Autres essais

AIKIDO YOSEIKAN DOJO
24221 Hawthorne Blvd Torrance CA 90505 USA Tel 310-373-DOJO

Chers Élèves, chers Parents et chers Amis :

Il y a environ une vingtaine d’années, après l’entraînement du samedi après-midi, alors que nous commencions le mondo (période de questions et réponses) des élèves avancés, je posai la question suivante : « Où trouvez-vous votre source de motivation ? »

Nombreux étaient ceux qui étaient apparus puis avaient disparu au cours des années depuis le moment où Kaoru Sensei et moi avions commencé à enseigner. Ce jour-là cependant l’assiduité de ces élèves remontait presque à ces débuts. Nous avions voyagé ensemble entre Ottawa, Montréal, Sherbrooke, Québec, Tuscaloosa—tellement plus que nous puissions nous en souvenir—afin de semer et développer le budō de Mochizuki Sensei. Nous avions fait kangeiko (entraînement d’hiver) et shochugeiko (entraînement d’été) au Japon, au Canada et aux États-Unis ; nous avions relevé toutes sortes de défis, et nous pûmes même, finalement, construire notre propre dojo permanent, ce qui constituait manifestement un pas en avant sur le chemin, bien que ce ne fût pas la fin de nos difficultés. Le résultat de tout cela ? Un solide lien gardant unis tous ces élèves !

Kaoru Sensei et moi étions convaincus de la valeur des enseignements de Mochizuki Sensei : il était donc de notre devoir de les transmettre aux générations suivantes et de trouver les personnes appropriées pour continuer la lignée. Ainsi lorsque je posai cette question, mon objectif était d’aider ces élèves à développer une compréhension claire de ce qu’ils faisaient. C’est ce qui distingue les « meneurs » des autres.

Un des élèves répondit par la question suivante :

« Où trouvez-vous vous-même votre source de motivation ? »

Nul autre ne dit mot. J’imputai à la timidité leur manque d’habilité à exprimer leurs propres pensées en public. Cependant il devint bientôt évident que la plupart d’entre eux n’y avaient jamais songé et que leur motivation dépendait surtout de facteurs externes tels que démonstrations techniques, discours stimulants, vidéos, lectures, etc. D’autres ressentaient une profonde stimulation interne mais ne pouvaient formuler une explication sensée.

Je compris alors qu’en tant de senior et professeur, je devais concevoir cette compréhension interne, d’abord en moi-même, avant de m’attendre à ce que mes élèves se comprennent eux-mêmes.

Je commençai donc à chercher en moi-même des indices sur ce qui me stimulait à continuer en dépit des défis et des difficultés. Je crus d’abord que la pensée de tous ces gens doués que j’avais connus et qui avaient gaspillé les enseignements reçus de nos professeurs était le facteur principal de motivation, une sorte d’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Mais par la suite je me rendis compte qu’il s’agissait là d’un facteur externe auquel on ne peut se fier. Il y avait quelque chose de plus profond que cela, cette petite flamme immortelle qui brulait en permanence en moi en dépit de tout ce qui peut se passer. Peu à peu les enseignements reçus durant mon enfance et mon adolescence commencèrent à émerger. Un en particulier semblait constituer le fondement de tous les autres :

« Faites constamment attention à vos pensées, ne laissez aucune mauvaise pensée telle que l’avidité, la colère, la convoitise, le découragement, le doute, etc., prendre forme dans votre esprit, car les pensées deviennent mots, les mots deviennent actions, les actions deviennent nos habitudes et nos habitudes forment notre personnalité. » Lorsque nos pensées ont pris de l’élan, particulièrement les pensées négatives, il devient quasiment impossible de les arrêter, surtout chez nous, personnes ordinaires, et c’est ainsi que nous perdons le contrôle de notre vie.

Je m’enquis aussi auprès de mes professeurs de ce qui les avait gardés sur la voie. Leurs réponses combinées avec ma propre expérience et mes recherches m’aidèrent à formuler la méthode suivante dans le but de trouver la force de remplir ma mission dans la vie quotidienne. Cette formule, affichée sur le tableau du dojo de Los Angeles s’intitule Cinq Sources de Force Inter reliées :

Aspiration
Familiarisation
Discipline
Détermination
Réflexion

L’aspiration : Par cela j’entends la faculté de, littéralement « amener l’esprit. » Cela consiste à préparer son esprit, son corps et son environnement afin de se rendre réceptif aux enseignements ainsi que d’apprendre de toutes sources pertinentes.

La bonne graine ne peut pousser que dans un sol préparé. Cela demande une attitude inconditionnelle vis-à-vis de l’apprentissage. Il nous faut cultiver l’aspiration dans la vie quotidienne par une attitude constante de vigilance vis-à-vis de nos pensées, de nos paroles et de nos actes. Cela concerne aussi nos lectures, les spectacles et films que nous regardons, nos activités, etc. et par-dessous tout, le genre de gens que nous fréquentons régulièrement, car notre tendance nous porte à nous amener à leur niveau ! J’ai été témoin parmi mes anciens camarades de dojo, ainsi que mes élèves, de trop d’échecs dus au mauvais choix d’amis, de partenaires, et/ou de professeurs pour ignorer ce facteur, même si cela peut sembler politiquement incorrect. Trouver un maître n’est pas à la portée de chacun, mais avec un état d’esprit proprement cultivé, il nous est possible de trouver un professeur authentique qui lui-même étudie ou a étudié avec un maître et maintient la lignée.

Mochizuki Sensei insistait constamment sur l’importance de garder son attention sur ce qu’il faut faire et non sur ce qu’il ne faut pas faire. Le subconscient ne juge pas, il se souvient seulement des termes. Par exemple si je fais, « N’oublie pas de…, » il se souviendra de « oublie » et les chances d’oublier augmenteront. Au lieu de cela je devrais dire, « Rappelle-toi de…, » étant donné que c’est ce que ma mémoire enregistrera. Certaines expressions telles que « abandonner » ou « pas capable » par exemple, doivent être évitées. « Je vais essayer » devient l’excuse en cas d’échec et devrait être remplacé par « Je ferai de mon mieux. »

Les mots négatifs mènent au découragement. Une fois que l’on permet au découragement d’entrer dans l’esprit, il devient incontrôlable. Au lieu de cela il nous faut nous dire qu’il y a d’autres possibilités. Cela peut sembler comme un ensemble de mots ridicules et vains, mais tout comme l’eau qui s’accumule sur un toit, ils finissent toujours par s’infiltrer dans notre esprit.

Une fois notre aspiration (combinée aux autres Quatre Sources de Force) devenue inébranlable—ce processus pouvant prendre plusieurs années—il devient plus aisé de savoir s’y prendre avec toutes sortes de personnes ou de situations. En conclusion, l’aspiration est le produit de la culture incessante d’une vision plus vaste que notre petite vie quotidienne. C’est ce qui nous aide à comprendre que nous faisons partie de quelque chose de beaucoup plus vaste et à apprécier cette réalité. Sans cela nous nous sentons débranchés, ignorants, indifférents, facilement découragés.

C’est l’aspiration qui nous permet de pressentir l’authenticité du professeur, celui qui a à cœur l’intérêt de ses élèves; cela afin d’établir et de maintenir avec lui une relation basée sur l’entraide et qui durera toute la vie.

L’aspiration est une fondation qui nécessite le renforcement d’autres sources complémentaires de force afin de trouver son efficacité et sa stabilité. Ce qui nous mène à la composante suivante :

La familiarisation est un processus qui consiste à former des habitudes par la répétition. Le proverbe « Tout devient plus aisé par la familiarisation » est un rappel de sa puissance. Notre étude du budō nous a enseigné que la familiarisation est l’antidote de la peur. C’est par elle que nous apprenons à modérer notre attitude vis-à-vis de ce que nous aimons ainsi que de ce que nous détestons. Ainsi nous pouvons apprécier toutes sortes de mets, acquérir de nouvelles compétences, développer la confiance en soi, l’amour-propre, la compréhension des autres, etc.

La familiarisation est douce et patiente. Elle nous demande seulement d’écouter, d’observer et de pratiquer sans attentes. Elle caractérise l’application du principe de « La flexibilité l’emporte sur la rigidité. » Une fois atteinte notre zone de confort dans notre entraînement, nous pouvons passer à l’étape suivante :

La discipline, c’est-à-dire les règles que nous nous sommes assignées, résulte de la compréhension, non de l’obligation. Par compréhension, j’entends la connaissance du fait que l’entraînement régulier est le moyen le plus rentable d’opérer. Cela demande d’observer nos pensées, nos paroles et nos actions ainsi que de pratiquer nos techniques avec présence d’esprit et concentration. Il nous faut ajouter à cela l’entraînement en solo—méthode d’une efficacité incontestable utilisée par les maîtres afin de développer discipline et toutes autres forces. Par ce processus de familiarisation, la discipline devient habitude de vie. Cela nous mène à la source de force suivante :

La détermination, à savoir l’engagement pris vis-à-vis de nous-mêmes de garder notre vision, de continuer notre shugyō (entraînement austère) et de maintenir nos principes, quoi qu’il arrive. En d’autres mots détermination est synonyme de volonté. Il nous faut distinguer cela de l’entêtement, trait de caractère marqué par la stupidité, la rigidité et le danger. La détermination repose sur l’expérience et l’étude ; elle est flexible. Cela peut être le coup de pied dans le derrière nécessaire pour démarrer quand on se sent déprimé et que rien d’autre ne marche. Cependant la détermination seule n’est pas suffisante. Elle ne peut trouver son efficacité qu’en étant cultivée en synchronisation avec les autres sources de force.

Pour finir, l’ingrédient qui sert de catalyseur pour lier ces forces ensemble :

La réflexion. L’étude du budō nous enseigne à réfléchir après l’action. Après une action exécutée correctement, nous y réfléchissons afin de la renforcer. Lorsque nous commettons une erreur nous réfléchissons sur ce que nous aurions dû faire et faisons les corrections immédiates si possible. Nous n’avons ni le temps ni le luxe de nous abandonner à la frustration. Sur le champ de bataille cela peut vouloir dire la mort, non seulement la nôtre, mais aussi celle des autres. En nous familiarisant avec ce processus nous apprenons à nous mettre immédiatement en mode solution au lieu de choir en mode victime (comme c’est le cas le plus courant), bien que cela puisse mener à quelque solution, mais à quel prix pour notre santé mentale et physique ?

La réflexion a peut être l’air d’être une perte de temps dans notre société axée sur les résultats rapides et les raccourcis. Sans la réflexion, nous nous trouvons constamment piégés par nos émotions et nous répétons incessamment les mêmes modes de comportement, même si nous les corrigeons par la suite.

En y pensant bien nous parvenons à comprendre l’efficacité de la réflexion et combien elle peut, en cas de nécessité, nous aider à nous souvenir de : quoi faire et de : comment le faire. C’est une partie intégrale de notre étude du budō. Voici ce qu’enseignait mon premier professeur de battojutsu (technique pour dégainer le sabre), Tsunoda Aguin Sensei : « En budō nous nous entraînons à nous attendre à l’inattendu ! »

En tant que discipline personnelle, nous réfléchissons sur notre journée avant de nous coucher afin de confirmer dans notre esprit ce que nous avons accompli de bien et corriger mentalement nos erreurs. Ainsi nous pouvons dormir d’un sommeil profond et préparer la journée suivante. L’orgueil et la culpabilité doivent être attentivement contrôlés afin de maintenir notre concentration.

C’est par la réflexion que nous développons la compréhension… Il y a quelque temps, nous avions appris qu’afin de changer et de nous améliorer, il nous faut passer par la pratique de la reconnaissance, de l’acceptation, de l’absence de justification, de la correction et finalement du renforcement de tout le processus par la réflexion. C’est par le même processus que les Cinq Sources de Force Inter reliées fonctionnent.

Comment cela ? Prenons pour exemple le cas où je me refuse de rencontrer une certaine personne qui m’a fait du tord et envers qui je ressens une profonde rancune tout en sachant cependant que je devrais rencontrer cette personne.

Vais-je remettre cela aux calendes grecques tout en refusant d’y penser et en espérant que le temps effacera ce souvenir ? Ma détermination est faible. Donc je fais appel à la réflexion. Ainsi je puis mieux comprendre les difficultés que cette personne a aussi à traverser : Peut-être est-elle beaucoup plus âgée que moi, a un profond sentiment de culpabilité et décédera probablement avant moi. Plus j’y pense (familiarisation), plus je puis comprendre ce que cette personne ressent. Je sais aussi que j’ai la discipline d’accomplir ce que j’ai décidé de faire et que dans le passé, une fois ce processus lancé, j’ai pu gérer toutes sortes de situations gênantes. Je n’ai qu’à aller chercher dans ma mémoire quelques uns de ces exemples qui furent à un moment renforcés par la réflexion.

Il ne me reste qu’à laisser le tout reposer tranquillement, à maintenir ma vigilance vis-à-vis des papotages négatifs occasionnels de la folle du logis et à répéter de nouveau le processus (culture de l’aspiration). Un beau matin je me réveille, ou à un moment où je suis occupé par une tâche quelconque, je ressens soudain une forte envie de rencontrer cette personne et de faire les préparatifs adéquats (aspiration). Et tout cela, c’était entièrement dans la tête !

Il n’y a pas de méthode parfaite et celle-ci doit être testée et améliorée. Il nous faut à chacun de nous partir de quelque chose qui a déjà fait ses preuves, voir comment cela marche pour nous, modifier ce qui doit être modifié, le remettre à l’épreuve et l’enseigner afin de nous assurer que d’autres continueront à l’améliorer.

Lors de notre processus de shugyō, si nous rencontrons l’échec, il nous est toujours possible de nous en remettre grâce à ces forces développées en nous-mêmes. La méthode d’évolution du Yōseikan doit être mise en application au-delà du développement technique si nous aspirons nous-mêmes à évoluer, mais aussi afin d’inspirer la prochaine génération à continuer la lignée. Alors nous pouvons nous appeler élèves de Mochizuki Sensei.

Nous vous souhaitons, Kaoru Sensei et moi de joyeuses fêtes ainsi que santé et prospérité pour la prochaine année. Cette année presque passée fut pour nous tous remplie de défis fortifiants et c’est grâce à votre confiance et à votre support continus que nous sommes capables de continuer notre mission.

Encore une fois nous vous demandons de continuer à recommander votre dojo à vos amis et connaissances : les introductions sont toujours la meilleure source d’élèves sérieux. En cette économie difficile, c’est un atout précieux.

Je voudrais aussi recommander un abonnement à Aikido Journal On Line (aikidojournal.com) comme cadeau pour tout élève sérieux d’aïkido, membre de votre famille ou ami. Voilà une source inestimable d’informations sur tout ce qui concerne les aspects historiques, techniques et spirituels de l’aïkido. Il faut aussi mentionner sa valeur en tant que moyen fiable pour le développement de l’aspiration.

Durant les fêtes, comme je le fais chaque année, je visiterai ma famille en France. Je vais aussi diriger un stage de trois jours dans mon ancien dojo et rencontrerai mon premier professeur, M. Michel Bourgoin qui vient d’avoir 75 ans.

Veuillez noter :

Pour finir je remercie Monsieur Alan Zeoli de m’avoir aidé à la correction et à l’amélioration de la version anglaise ainsi que Madame Simone Augé pour la version française.

Patrick Augé
Décembre 2011