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Essais de Patrick Auge Sensei Shihan - Essais de ceintures noires - Autres essais

AIKIDO YOSEIKAN DOJO
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Le 28 décembre 2013

Chers élèves, chers parents, chers amis:

Nous voici presqu’en 2014 et j’aimerais partager avec vous quelques expériences et pensées reliées directement à notre étude du Budō.

Un tôt matin d’été Kanchō Sensei (Mochizuki Sensei) et moi prenions le petit déjeuner au dōjō. Je lui demandai : « S. Sensei a-t-il abandonné ? Cela fait longtemps que je l’ai vu !»

Avec un regard disant « Qu’est-ce que tu racontes là ? » Sensei répondit : « Ceux qui font du Budō n’abandonnent pas ! »

Sur le moment sa réponse me dérouta. S. Sensei avait toujours été présent dans le Dōjō, assistant Kanchō Sensei et s’entraînant avec nous. Puis soudain il avait disparu et personne n’en disait mot. J’avais été témoin de tant de cas décevants d’élèves et d’anciens enthousiastes et assidus qui sans crier gare avaient rejoint les rangs des déserteurs et des moniteurs errants qu’une voix finit par me dire : « C’est ce qui nous arrive quand on fait du zèle et qu’on n’arrive pas à obtenir ce qu’on veut avoir!... La rigidité ne peut venir à bout de la rigidité ; cela amène toujours à une rupture. » Et puis aussi le fait que d’abandonner ou de déserter le navire étant considéré comme un agissement honteux – expliquant ainsi le silence de chacun, aidait peu à clarifier la situation.

Mais aussi une autre voix me chuchotait : « Sensei a le chic de donner des réponses qui nous forcent à penser bien au-delà du sens littéral de ses mots. » A certains élèves, il expliquait tout en détail tandis qu’à d’autres il donnait des réponses qui amenaient plus de questions. A cette époque je ne voyais pas cela comme un moyen de nous traiter sur un plan d’égalité, c'est-à-dire d’après nos capacités individuelles. Il me fallait penser plus en profondeur en fonction de ses enseignements avant de comprendre les raisons de son comportement.

Cela me mena à réfléchir sur le chemin que nous parcourons. Nous considérons la Voie Martiale comme un moyen de faire face aux difficultés de la vie et de les gérer, en commençant par la nécessité de survivre les menaces physiques les plus primitives, telles que les chutes et la brutalité. En utilisant les techniques martiales (Bujutsu) comme des outils servant à travailler avec la crainte de tomber ou d’être blessés par d’autres personnes, nous intériorisons progressivement le concept de Familiarisation en tant qu’Antidote de la Peur. De nos jours, la menace physique existe encore, cependant les probabilités de nous faire agresser psychologiquement sont beaucoup plus nombreuses et les dommages qui en résulteront pourront être pires. En une journée, ne rencontrons-nous pas toutes sortes d’évènements déplaisants ? Comment faisons-nous pour persister à travers chaque jour ?

Cela commence par notre engagement. Une des devises du Yōseikan –« Quoi qu’il arrive, rencontre le avec Kiai » (Danshi Koto Ni Atatte Kiai Daiichi Nari)—était affichée près du Shōmen (mur antérieur du Dōjō). En langage simple, cela signifie : « Fais face aux défis, ne te débines pas ! » Nous avons de nombreuses chances de vérifier notre engagement. Lors de l’entraînement, il nous faut d’abord faire l’expérience de la menace au niveau physique : Une attaque sincère portée avec détermination produira une défense sincère et déterminée. Sinon il ne peut y avoir de Kiai, ce moment précis où notre énergie mentale combinée à notre énergie physique rencontre celle de notre Uke (partenaire). Ce que nous vivons au niveau physique peut être transféré au niveau mental : le principe est le même. Mais pour que cela arrive, il nous faut l’exemple et les conseils de professeurs expérimentés qui ont eux-mêmes vécu cet entraînement. C’est une des raisons pour lesquelles on ne peut faire du Yōseikan en solo si on aspire à fonctionner au niveau du Budō.

Plus tard je compris enfin la réponse de Mochizuki Sensei à ma question : en réalité celui qui abandonne n’étudiait pas la Voie Martiale ; il ne faisait que bêtement répéter des Techniques Martiales dans l’espoir qu’une transformation miraculeuse se produirait. Cela explique son inhabilité à gérer les obstacles que la vie lui présentait dans le but de le préparer à surmonter de plus grands défis à venir. C’est ce que j’entends par Engagement Conditionnel.

Voici d’autres exemples d’engagement conditionnel. Je me souviens très clairement d’un élève extrêmement doué qui faisait tout à sa manière. Il répétait fréquemment que l’Aïkidō n’était rien d’autre qu’un exercice pour la santé et que tout ce charabia spirituel n’était qu’absurdité servant à mêler et à manipuler les gens. Il refusait obstinément d’enseigner aux débutants ; il voyait cela comme une perte de temps vu le fait qu’il pratiquait pour son propre plaisir et que d’après lui, c’était ce que tout le monde devrait faire. Il avait pris l’habitude d’arriver après le commencement du cours des débutants afin de s’assurer qu’une autre ceinture noire y aurait déjà été assignée. Il manquait aussi régulièrement le Mondō (période de questions et réponses) du dimanche après-midi, cette session hebdomadaire où Kanchō Sensei, les Uchideshi (élèves pensionnaires) et les Kayoideshi (élèves externes) pouvaient communiquer sans limite de temps. Cet élève s’abstenait aussi – parmi d’autres évènements – de participer aux réunions de Shihan, là où d’importantes décisions allaient être prises. (Bien sûr, il ne se privait jamais de critiquer les décisions prises lors de ces réunions !)

Kanchō Sensei le grondait fréquemment pour son comportement égocentrique et l’insuffisance de son engagement. Cet élève ne pouvait faire la distinction entre l’amour exigeant et le harcèlement. Se sentant humilié il disparaissait parfois pendant plusieurs semaines et revenait lorsqu’il se sentait mieux. Après le décès de Mochizuki Sensei, il démissionna et devint indépendant. Cependant étant donné qu’il avait évité l’apprentissage des bases, étape non nécessaire chez un individu aussi doué que lui – et l’un des rares que j’ai rencontrés – il ne pouvait enseigner qu’à son niveau et se trouvait incapable d’enseigner à ceux pour qui l’apprentissage des bases était nécessaire. Ayant ainsi sauté cette étape il devint inévitable qu’aucun de ceux qui le suivirent n’atteindraient jamais son niveau. Son accomplissement personnel devint un cul de sac, ce qui était son objectif depuis le début.

Les enseignements du Yōseikan mettent l’accent sur le concept de l’Entraide et Prospérité Mutuelle en tant que principe fondamental. J’ai rencontré des pratiquants de Bujutsu qui étaient arrivés naturellement à la découverte du principe d’Entraide et Prospérité Mutuelle à travers la recherche et la mise en pratique incessante du principe de la Meilleure Utilisation de l’Énergie. Ces personnes avaient ainsi atteint le niveau du . Par contre j’ai aussi rencontré de nombreux soi-disant experts de Budō dont l’évolution avait été interrompue au niveau technique (Jutsu). Un professeur dit à ce sujet « Si tes deux yeux sont fixés sur le but, qu’est-ce qu’il te reste pour voir le chemin ? » C’est ce qui résulte quand on reste pris dans sa zone de confort : on tombe dans un état comateux ! Les AikiExpos nous ont procuré bien des exemples de ce phénomène. Certains professeurs réputés montraient une curiosité sincère envers ce que faisaient les autres et circulaient d’une classe à l’autre en tant qu’observateurs et même participants, alors que d’autres professeurs célèbres ne montraient aucun intérêt et partaient aussitôt que leurs classes étaient finies et que leur présence n’était plus nécessaire.

Tout commence par la présence. Un vieux proverbe dit : « Les absents ont toujours tord. » Cela signifie que rien ne remplace l’expérience directe d’être présent mentalement et physiquement. Il faut distinguer l’absence due à une priorité urgente de l’absence due à la négligence ou à l’indifférence. Quoi qu’il dise, la motivation profonde d’un individu finit toujours par se révéler à travers son comportement.

Pour cette raison, assurez-vous que vous rattrapez vos absences. Si vous ne pouvez vous entraîner dû à un empêchement physique, soyez présent et observez attentivement. Cela s’appelle Mitorigeiko (Entraînement par l’Observation), un puissant outil d’apprentissage que nous pouvons tous cultiver. Au niveau mental cela vous encouragera aussi à reprendre l’entraînement aussitôt que possible et stimulera votre guérison. La pratique du mitorigeiko lorsqu’on est malade ou blessé est une discipline tout-à-fait profitable, surtout lorsqu’on s’y met tôt et avec fermeté. Les débutants et ceintures basses qui manquent leurs classes avec l’intention de reprendre lorsque leurs conditions s’amélioreront se trouvent souvent inévitablement à remplir cet espace de temps avec une autre activité plus amusante ou distrayante; il est improbable qu’ils retourneront au Dōjō. Par conséquent nous devons maintenir l’esprit d’étude, cela même quand le corps ne peut bouger. Ainsi corps et esprit restent présents.

Le même principe s’applique aux élèves de niveaux intermédiaires et avancés. S’il vous est impossible de participer à un camp ou autre évènement important pour quelque raison sérieuse que ce soit, il vous est conseillé d’offrir votre support à ceux qui participeront. Il suffit d’observer et de vous renseigner. Tout au long de l’année, de nombreuses occasions se présentent de vous impliquer et de pratiquer votre leadership. Si vous manquez un cours, voyez à participer à d’autres classes. Partagez votre expérience. Avec la volonté on trouve toujours un moyen.

Ceintures Noires, vous devez accepter le fait que les ceintures de couleur observent l’exemple que vous donnez. Votre comportement parle plus fort que vos paroles et établit les normes pour ceux qui viennent après vous. Sur un écriteau au Yōseikan on pouvait lire : « Les ceintures noires arrivent tôt et partent les derniers ! » Il est évident que cette déclaration signifie plus que pointer à temps.

Et en ce qui concerne ceux qui aspirent à atteindre le niveau supérieur, n’attendez pas d’arriver à la ceinture marron pour commencer à développer les qualités d’une ceinture noire. Mettez-vous y immédiatement. Une fois la ceinture violette atteinte, posez-vous la question suivante : « Vais-je participer à l’entraînement du samedi matin ou vais-je continuer la même routine des fins de semaine? » Aussi vous arrive-t-il d’assister à une classe de débutants dans le but de partager votre expérience et d’affiner vos bases ?

Oui le Yōseikan impose des critères exigeants – et les pressions venant de toutes directions pour abaisser ces critères afin d’accommoder et d’attirer plus d’élèves existent depuis longtemps. Elles étaient déjà présentes du temps de Mochizuki Sensei ; on lui disait fréquemment : « Il y a trop de techniques ; les élèves ne peuvent pas suivre ; cette technique est trop dangereuse ; les passages de grade sont trop lents ; on ne peut pas rivaliser avec les autres écoles. » Il lui fallait faire face à ces plaintes ainsi qu’à d’autres du même genre.

Toutes ces jérémiades exaspéraient Kanchō Sensei : « Que croyez-vous arrivera si vous abaissez les critères ? Vous ne pourrez jamais les relever ! Regardez le présent état de dégradation de l’Aïkido après Ueshiba Sensei ! Vous devez étudier et améliorer votre enseignement de façon à amener vos élèves au niveau des critères et non abaisser les critères à leur niveau ! »

Etant l’un des quatre successeurs désignés de Mochizuki Sensei, je renouvelle mes vœux de maintenir les critères et les valeurs qu’il nous a légués. Je sais qu’apprendre et pratiquer la partie technique est bien plus facile que d’entraîner l’esprit. Je sais aussi que plus on est doué plus on est susceptible de négliger le développement de l’Esprit (Shin) et de se concentrer uniquement sur le développement de la Technique (Gi) et du Physique (Tai). Mais qu’arrivera-t-il alors que l’Esprit est absent et que le corps commence à se détériorer dû à l’âge et à l’usure ? L’histoire nous apprend que ceux qui suivent cette voie de la facilité abandonneront à coup sûr ou prendront leur indépendance tandis que les moins doués – la majorité d’entre nous, ceux qui ont pris l’habitude dès leur enfance de gérer leurs difficultés, ont développé le savoir-faire approprié. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes mis à entraîner les élèves dès leur commencement à développer Kiai et Zanshin (État d’Éveil Mental et Physique). Cela commence par un salut clair et énergique lorsqu’on entre dans le Dōjō afin de préparer l’esprit à l’entraînement. Les enfants et les débutants s’y sont mis sans difficultés tandis que certains adultes – même parmi les anciens, éprouvent du mal à s’y adapter. Il leur faut d’abord vaincre leurs propres blocages afin de développer des qualités qu’ils pourront partager avec les autres.

Je continue à soutenir ma déclaration du « Yōseikan étant une espèce en voie d’extinction. » Cela a attiré les critiques de ceux qui considèrent ces propos comme décourageant les gens de se joindre à un groupe et à un style de vie voué à disparaître. A cela je réponds que nous continuons à inviter seulement ceux qui ont une vision non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour les autres et qui aspirent à développer un leadership noble dans le but de réaliser cette vision. Nombreux sont ceux qui montreraient de l’intérêt pour cette forme de Budō, soi pour eux et/ou pour leurs enfants, s’ils en connaissaient l’existence. La question qui se pose maintenant est de savoir comment rejoindre ces gens et attirer leur attention parmi la médiocrité et la confusion créées par les pubs pour des aubaines à $9.99-par-semaine-uniforme-compris, ceintures noires de neuf ans et grands maîtres d’arts com-martiaux (Oui, le jeu de mot est voulu !)

Notre meilleure source d’élèves stables et engagés à long terme, c’est le bouche à oreille !

C’est pour cette raison que nous encourageons nos élèves à développer l’habilité de parler de l’Aïkido, comment son étude et sa pratique leur bénéficie et peut bénéficier aux autres. Partagez votre expérience avec d’autres personnes qui pourraient aussi bénéficier de ce que vous avez développé.

Je remercie Monsieur William Brown qui s’est si gentiment offert pour réviser la version anglaise originale. Ceci est une traduction et je recommande de lire aussi la version originale pour une meilleure compréhension du sujet traité.

Nous vous souhaitons de Joyeuses Fêtes ainsi qu’une Bonne et Heureuse Année. Merci encore de votre confiance et de votre support continus des enseignements que nous avons reçus directement de Mochizuki Sensei.

Patrick Augé et Kaoru Sugiyama